Dans les couloirs silencieux des bibliothèques universitaires, dans les chambres d’étudiants éclairées par la lumière bleutée des écrans, dans les amphis bondés ou les salles d’examen tendues, une réalité souvent invisible prend de l’ampleur : celle de la détresse psychologique des étudiants. Derrière les notes, les diplômes, les ambitions professionnelles et les heures d’études, un prix plus lourd est parfois payé — celui de la santé mentale.
Depuis plusieurs années, on observe une augmentation préoccupante des troubles psychologiques chez les jeunes en formation. Dépression, anxiété, troubles du sommeil, épuisement émotionnel, voire idées suicidaires, deviennent des compagnons de route pour un nombre croissant d’étudiants. L’exigence de performance omniprésente dans les cursus scolaires et universitaires ne laisse souvent que peu de place à l’échec, à l’expérimentation ou simplement au repos. L’idée dominante selon laquelle réussir à l’école garantit un avenir sûr alimente une pression constante, transformant l’apprentissage en épreuve.
Le système scolaire valorise la compétition, les résultats, les classements. Dans ce contexte, de nombreux étudiants intériorisent l’idée que leur valeur personnelle est directement liée à leurs performances académiques. Cette perception engendre une peur intense de l’échec, une culpabilité à chaque moment de relâchement, une volonté d’atteindre des objectifs parfois inaccessibles. Certains passent des nuits entières à réviser, à corriger des projets, à relire des cours, jusqu’à l’épuisement. Le repos devient un luxe coupable, et l’angoisse s’installe comme une routine.
À cela s’ajoute un isolement croissant. Loin de leurs familles, parfois dans de nouvelles villes ou même de nouveaux pays, beaucoup d’étudiants se retrouvent seuls face à des défis émotionnels qu’ils ne savent pas toujours identifier ou exprimer. La peur de paraître faible, le tabou persistant autour de la santé mentale, le manque de services d’écoute dans certaines institutions font que nombre d’entre eux gardent le silence. Ils dissimulent leur souffrance sous le masque de la réussite apparente, jusqu’au jour où le corps et l’esprit cèdent.
Les réseaux sociaux jouent également un rôle ambigu dans cette dynamique. Ils offrent certes un espace d’expression et de connexion, mais ils diffusent aussi des images idéalisées de la vie étudiante. Des clichés de réussites éclatantes, de journées parfaitement organisées, de visages toujours souriants créent un sentiment de décalage pour ceux qui peinent à suivre. La comparaison permanente alimente un sentiment d’infériorité et d’échec, même chez ceux qui, objectivement, s’en sortent bien.
Pourtant, la santé mentale des étudiants ne devrait pas être une variable d’ajustement dans la quête de l’excellence académique. Étudier, apprendre, se former, ce sont aussi des moments de construction de soi, qui nécessitent du temps, de l’équilibre, de la bienveillance. L’échec fait partie du processus, tout comme le doute et les moments de pause. La société a un rôle crucial à jouer dans ce changement de regard. Les établissements d’enseignement doivent repenser leurs approches, offrir des espaces de soutien psychologique accessibles, valoriser les parcours atypiques et prendre au sérieux les signaux d’alerte.
Les familles, les enseignants, les institutions, mais aussi les pairs ont une responsabilité collective : celle d’ouvrir la parole, de normaliser la vulnérabilité, de rappeler qu’aucun diplôme ne vaut la perte de soi. Il est temps de sortir du mythe du « bon étudiant » invincible, toujours motivé, toujours performant. La réussite n’a de sens que si elle s’accompagne de bien-être, d’épanouissement, et d’un respect de ses limites.
En réconciliant réussite scolaire et santé mentale, on ne fait pas seulement le choix de l’humanité, on prépare aussi des individus plus équilibrés, plus libres, et mieux armés pour affronter les défis du monde adulte. Parce qu’un esprit brillant ne peut s’épanouir dans une tête en détresse.